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Quel avenir pour les jeunes délinquants ? 

Nos grands témoins

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TOUFIK OUADHI

Chef de service éducatif Protection judiciaire de la jeunesse.

Ancien éducateur spécialisé ayant travaillé en EPM jusqu'en 2018.

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ANNE PÂQUET​

Ancienne éducatrice spécialisée en centres éducatifs fermés pour mineurs au Québec.

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MARINE ESAYAN​

Psychologue diplômé M1 Descartes, ancienne psychologue stagiaire en Établissement Pénitentiaire pour Mineurs durant 9 mois.

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KARIM MOKHTARI​

Ancien délinquant mineur et détenu, aujourd'hui directeur d'associations de prévention et réinsertion Carceropolis et 100Murs, et formateur des professionnels PJJ. (Protection Judiciaire de la Jeunesse)

Quel avenir pour les jeunes délinquants ?

La prise en charge des mineurs délinquants et l'efficacité de l'éducation en prison sont souvent remis en question : la récidive est fréquente et souvent se poursuit après la majorité. Contrairement au Québec où la délinquance juvénile diminue d'année en année. Pour pallier les lacunes du modèle français, des associations socio-éducatives mènent des actions ciblées et adaptées à notre époque.

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©Michel Le Moine, 2002, Centre des Jeunes Détenus de la Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis
"À nature, type d'infraction et peine prononcée donnés, les jeunes délinquants récidivent davantage et plus vite que les condamnés plus âgés" selon l'Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE).

«On ne va pas révolutionner le monde avec le nouveau code pénal pour mineurs» souffle le chef de service éducatif Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) Toufik Ouahdi au sujet du nouveau code en cours d'adoption. La limitation de l'enfermement des mineurs est l'un des enjeux essentiels de cette réforme. L'incarcération en Établissement Pénitentiaire pour Mineurs (EPM) doit rester l'ultime recours.

Les alternatives doivent donc être privilégiées afin que, comme le prévoit l'ordonnance de 1945, l'éducatif prime sur le répressif.

Pourtant selon le rapport annuel sur les droits de l'enfant de 2019 Enfance et violence : la part des institutions publiques, on constate une hausse de 15 % de détenus âgés de 13 à 18 ans entre 2016 et 2018 dans les six EPM Français.

Les mineurs incarcérés, avec des parcours tous différents, ressentent chacun à leur façon l'expérience de l'éducation derrière les barreaux. Tous soulignent la difficulté de la réinsertion.

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©Mandy Yahiaoui

Les mineurs sous écrous: des expériences inégales

Les six EPM rassemblent des mineurs dont les niveaux, les profils et les motifs d'incarcération sont divers. Pourtant, les jeunes incarcérés suivent les mêmes enseignements et ateliers. Les témoignages sont donc assez discordants, avec des bilans jugés positifs en dépit d'expériences compliquées. Mais dans certains cas, on peut considérer cette expérience comme un échec.

Toufik Ouahdi, chef de service éducatif PJJ, a récemment travaillé avec un jeune Mineur Non Accompagné (MNA) dans sa réinsertion. Après avoir traversé la Méditerranée et l'Italie seul, ce jeune homme originaire d'Afrique commet un acte de délinquance avant d'être incarcéré dans l'EPM de Lyon. «Il avait des problèmes de santé parce qu'il fumait beaucoup de drogue, ma priorité a été de l'emmener faire un check up médical complet» explique Toufik Ouahdi. Une fois en Unité Éducative d'Activités de Jour (UEAJ) et après avoir appris le français, une autre étape cruciale doit être franchie. Il faut expliquer au mineur incarcéré les conséquences qu'il subirait en cas de refus de sa part de travailler sur son projet d'avenir: le risque de se faire expulser dans son pays d'origine.

Le mineur se lance alors à la recherche d'un stage dans le domaine de la cuisine, mais trop vite la réalité le rattrape brutalement: il doit faire face à une avalanche de refus, parfois discriminants et racistes. Malgré ces difficultés, il parvient à s'inscrire au Centre de Formation d'Apprentis (CFA) pour suivre un Certificat d'Aptitude Professionnelle (CAP) restauration en alternance et trouve finalement un stage dans la brasserie huppée Le Bocuse à Lyon.

Si ce témoignage est rassurant, il est peu commun. De nombreux mineurs en EPM récidivent une fois devenus majeurs. Toufik Ouahdi qualifie cela «d'échec» car une fois majeur, les prisonniers ne bénéficient plus d'aucun suivi: «Dans un EPM un référent s'occupe de dix mineurs. En prison il y a un référent pour s'occuper de cent adultes».

Marine Esayan, stagiaire psychologue en EPM, va dans le même sens. Parmi les mineurs détenus qu'elle rencontre durant ses missions, seulement l'un d'entre eux est encore scolarisé. La majorité sont dirigés vers des cursus diplômants courts de type CAP ou BEP, afin de rentrer dans la vie active le plus rapidement possible pour éviter au mieux la récidive. Ce qui choque la stagiaire psychologue durant ses entretiens : l'inversion des valeurs chez les jeunes délinquants: «Chez les adolescents il y avait une certaine fierté d'être là, de se sentir un peu tout-puissant, et de ne pas vraiment avoir d'inquiétude pour la suite. C'était un peu la première étape de la délinquance».

Difficile d'appréhender l'éducation de jeunes mineurs déjà en marge de la société. Cependant, il semble que d'autres éléments expliquent cette difficulté. Les institutions en charge des mineurs délinquants sont en effet souvent pointées du doigt.

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©Olivier Touron, 2008, Lille
Malgré plusieurs relances, une professeure en EPM n'a pas donné suite à mes questions quant à l'enseignement sous écrous.

Pour aller plus loin...

Découvrez en plus sur le monde des EPM à travers l'expérience de Toufik Ouahdi.

Pour en savoir plus sur les missions et enjeux des éducateurs spécialisés.

Un manque de soins psychologiques et physiques

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©Mandy Yahiaoui

Les éducateurs PJJ ont pour mission de sortir les enfants d'un endroit ou d'un état à un autre qui se veut meilleur selon l'idée du rite de passage développée par Arnold Van Gennep, ethnologue. Rite qui se fait à travers l'éducation, le moyen d'élever l'enfant.

Ces éducateurs prennent en charge divers profils de mineurs : délinquants, victimes ou jeunes majeurs. Et c'est dans ce principe que Toufik Ouahdi identifie la plus grande difficulté rencontrée dans sa profession: «discerner quel enfant j'ai en face de moi et comment je peux le rendre meilleur». Travailler avec l'humain c'est devoir s'adapter aux différents profils et situations que l'on a en face de soi. Mais les profils récents de nouveaux délinquants brouillent la tâche des professionnels: «aujourd'hui on a plutôt tendance à avoir des enfants avec des troubles psychologiques voire psychiatriques, ce qui n'est pas notre spécialité puisque nous nous occupons des troubles du comportement» observe l'éducateur.

Marine Esayan, à travers son stage, remarque également ce phénomène. On parle d'un certain manque de discernement parmi les troubles du comportement et les troubles psychologiques voire psychiatriques chez les mineurs incarcérés. «Normalement, je dis bien normalement, il y a un psychologue PJJ, et un médecin qui est là pour recevoir les jeunes, mais qui n'est jamais là. Et le psychologue PJJ, nous ne l'avons jamais vu». De plus, la psychologue décrit son intervention comme «mal vue et peu considérée puisque mes tutrices ne venaient pas souvent en EPM et qu'il n'y a pas vraiment de travail d'équipe qui était fait. On venait, on repartait, il y avait très peu de communication». La conséquence qu'elle souligne particulièrement, c'est la mise en danger des professionnels. Des enseignants ou des intervenants qui ne veulent plus aller travailler à cause de profils difficiles et violents qui relèveraient plus de la psychiatrie que de la délinquance.

Les missions de Marine sont ponctuelles et axées sur la réorientation et la réinsertion. Elle le regrette. Pour elle, les mineurs incarcérés sont peu ou mal informés des possibilités. «S'il y avait plus de liens entre les professeurs et les psychologues et que, si vraiment, il y avait un travail en équipe, peut-être que ça porterait ses fruits».

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©Laurent Hazgui, 2019, Quartier pour mineurs de Villepinte
La réforme de la justice pénale des mineurs engagée en 2019 ne parviendra pas à réduire le nombre de jeunes incarcérés si un travail n'est pas fait sur la prévention et la récidive.

Le manque de discernement, de suivi et d'informations de certains EPM composent, selon les experts interrogés, les principales lacunes du système.

En France le système carcéral pour mineurs ne brille donc pas par son efficacité en termes de réinsertion. Ce n'est pas le cas au Québec où la délinquance juvénile diminue d'année en année.

Pour aller plus loin...

Découvrez en plus sur le monde des EPM à travers ce témoignage.

PODCASTMARINE ESAYAN
00:00 / 07:43

Le Canada, un pays en avance

Comment la Belle Province fait-elle pour mieux accompagner et prendre en charge les mineurs délinquants, alors que sur le papier, les objectifs sont les mêmes qu'en France: punir, mais surtout éduquer et réinsérer ?

Si en France comme au Québec un enfant n'est pas responsable pénalement avant ses 13 ans, le contexte diffère entre les deux nations quant aux peines encourues et à la juridiction qui est appliquée. Là où un mineur délinquant français risque dans le pire des cas une incarcération en EPM, un mineur délinquant québécois risque une mise sous garde en centre de jeunesse, des établissements qui reposent sur des services médicaux et sociaux. En France, le dessaisissement est possible. Autrement dit, un mineur peut être jugé comme un adulte si cinq conditions précises sont remplies. Au Québec, un enfant est jugé comme un adulte si un crime est commis avec des circonstances aggravantes.

À l'inverse, si un délit ou un crime est commis durant la minorité de l'accusé, mais que celui-ci est jugé une fois majeur, alors il sera jugé comme un mineur.

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Une fois la peine encourue, au Canada, les services éducatifs et psychologiques cessent. L'enfant est soumis à une évaluation pour qu'il soit redirigé le rediriger vers des ressources communautaires en cas de besoin. Des éducateurs extérieurs sont disponibles pour suivre et guider l'enfant dans son projet d'avenir si nécessaire.

En France, les services de suivi s'arrêtent à la libération du mineur. Toutefois, il peut se diriger vers des associations socio-éducatives. Un phénomène reste commun aux deux pays: la discrimination à l'embauche due aux antécédents judiciaires. Certes, les anciens détenus sont très fréquemment dirigés vers des cursus courts et professionnalisants pour entrer le plus rapidement possible dans la vie active, mais ils n'accèdent pas facilement à l'emploi pour autant. Leurs profils, caractérisés par un faible niveau de qualification, des fragilités sociales et économiques, renforcent cette difficulté de l'accès à l'emploi.

Le Canada observe un lien étroit entre la limitation des peines de privation de liberté et la diminution de la récidive. L'article de Juristat Statistiques sur les tribunaux de la jeunesse au Canada 2010-2011 «Les peines courtes, soit celles de moins de six mois, n'ont eu aucun effet sur le taux de récidive, mais les peines de plus de deux ans ont entraîné une augmentation moyenne de 7 % du taux de récidive».

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En 2011, le nombre d'affaires judiciaires traitées par les tribunaux de la jeunesse au Canada a baissé pour une deuxième année consécutive, diminuant de 7 % par rapport à l'année précédente. En France, le constat n'est pas le même, selon l'INSEE. «La récidive est très fréquente chez les jeunes, voire très jeunes, délinquants : six condamnés sur dix en 2004, mineurs au moment des faits reprochés, ont récidivé avant 2011».

Les statistiques confirment les lacunes du système pénal pour mineurs français. Le modèle québécois semble être plus efficace sur le plan de l'éducation de la réinsertion dans la société. En France, pour répondre à l'échec relatif du modèle judiciaire pour mineurs, certaines associations socio-éducatives mènent des actions ciblées et adaptées à notre époque.

Pour aller plus loin... 

Discussion sur les différences du système pénal pour mineurs Québécois.

PODCASTANNE PÂQUET
00:00 / 10:47

Les associations à la rescousse des jeunes à réinsérer

Après une peine d'emprisonnement, certains mineurs se retrouvent parfois sans hébergement, sans travail et sans formation. Des associations tentent de tendre la main à ces jeunes et de créer un plan d'avenir à leurs côtés. Elles vont aussi parfois à la rencontre des professionnels PJJ afin de mieux les former à mener leurs missions.

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©Jonathan Teboul
Karim Mokhtari, un homme engagé.

«Je veux que Monsieur et Madame tout le monde puisse se rendre compte de ce qu'est l'univers carcéral en France et pas seulement par les faits divers. Parce que la prison finalement, ce n'est pas que des murs, des barreaux et des portes, c'est aussi des hommes, des femmes et des enfants, donc c'est quelque chose qui concerne toute la société». Karim Mokhtari a grandi dans les institutions pénales françaises, la prise en charge ne l'a pas aidé, bien au contraire «ces structures ont surtout été un tremplin à la criminalité». C'est après une peine d'emprisonnement de ses dix-huit à vingt-cinq ans qu'il se réinsère professionnellement grâce à l'association Ateliers Sans Frontières, au service de la solidarité internationale.

L'information pour la prévention, c'est bien, l'action directe auprès des concernés, c'est mieux. C'est cette idée qui l'encourage à créer l'association 100Murs qui offre une approche pratique de la prévention et de la gestion de la violence sur les jeunes notamment. Des interventions sont menées dans des quartiers difficiles, des collèges et lycées, des CEF et EPM. Le but est de leur faire comprendre que la prison n'est pas un passage obligatoire, qu'il faut reprendre confiance en soi pour faire des choses positives, et que des compétences transversales sont déjà acquises «aujourd'hui, tu vends de la drogue, demain si tu vends des voitures, ce serait la même technique que tu utiliserais, mais si la police passe, t'auras pas mal au ventre parce que tu feras rien de mal» explique le fondateur de l'association.

Le problème : les jeunes mal informés vis-à-vis des opportunités de formations et professionnelles. L'ancien détenu décrit cette tendance: «Ce sont des jeunes qui sont inscrits dans une vision de la vie et de notre système complètement erronée, il pense qu'il y a un fatalisme absolu (...) on dévalorise leurs compétences, leur savoir-être et leur savoir-faire et on les dirige vers des domaines d'activité qui ne leur correspondent pas, et avec une dévalorisation des filières professionnelles». L'enjeu se trouve notamment ici: revaloriser les filières dites techniques, redonner confiance aux jeunes dans leurs propres capacités et compétences et les aider à comprendre la société dans laquelle ils vivent pour mieux trouver leur place.

En parallèle d'une action sur les individus, il paraît indispensable d'agir sur les institutions dont ces derniers dépendent. C'est pourquoi Karim décide de mener des actions auprès des éducateurs, surveillants et enseignants.

Généralement, Karim Mokhtari reçoit l'équipe pluridisciplinaire, il analyse les problématiques et tente de trouver des solutions à leurs côtés. Il fait émerger la solution de l'équipe éducative à travers des mises en situation, des groupes de travail et de réflexion. La difficulté avec les éducateurs: «On ne peut pas venir avec juste ce qu'on a appris à l'école d'éducateurs, ça ne suffit pas parce que l'école vous impose quelque part d'oublier qui vous êtes, quand on est seulement dans son rôle d'obligation de sécurisation de surveillance, etc. On ne peut pas créer un lien éducatif saint orienté vers la volonté de faire émerger le potentiel chez le jeune».

La différence entre les éducateurs PJJ et et 100murs est visible, l'association essaie de rendre acteur le jeune, de dépassionner des actes qu'il a posés et d'humaniser la personne qui a posé des actes. «Je ne regarde pas leurs carences parce que moi, on m'a regardé toute ma vie à travers mes carences. Et vous-même, si vous commencez à regarder des gens à travers ce qu'il leur manque, ils ne sont vraiment pas beaux à voir. Mais si on les regarde à travers ce qu'ils sont capables de faire, là ça fait toute la différence».

Une différence essentielle, et qui pourrait bien inspirer les institutions en charge de la réinsertion des mineurs délinquants. Nouveau code pénal pour mineurs ou pas.

Pour aller plus loin...

Le portrait complet de Karim Mokhtari.

Lexique:

EPM: Établissement pénitentiaire pour mineurs

PJJ: Protection judiciaire de la jeunesse

MNA: Mineur non accompagné

 

MAJ: Mesure d'activité de jour

UEAJ: Unité éducative d'activité de jour

 

CFA: Centre de formation d'apprentis

 

SPIP: Service pénitentiaire d'insertion et de probation

 

CEF: Centre éducatif fermé

 

CER: Centre éducatif renforcé

 

BEP: Brevet d'études professionnelles

 

CAP: Certificat d'aptitude professionnelle

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